Mark Schelker
Publiziert im „Agefi“ vom 26. Februar unter dem Titel “L’indépendance du contrôleur.”
Les finances de nombreux États sont arrivées aux limites de leurs possibilités. En particulier, la situation fiscale dans plusieurs pays européens est dramatique. L’endettement de pays traditionnellement solides, comme la France, est considérable et toujours croissant. Les interventions monétaires de la Banque Centrale Européenne ont soulagé la situation à court terme, mais les problèmes de base ne sont toujours pas abordés de façon durable. Redressement et réformes constituent des sujets de discussion omniprésents. Mais si les budgets publics sont souvent si fortement déséquilibrés – quelle en est la cause?
Bien sûr, il existe tout un éventail d’explications. Dans de nombreux cas, le dénominateur commun réside dans le fait que les processus décisionnels politiques sont fortement altérés au profit d’intérêts spécifiques et que les mécanismes politiques de contrôle sont désactivés ou contournés. D’une part, nous savons que les institutions politiques, par exemple les mécanismes de règles budgétaires (comme le frein à l’endettement en Suisse), peuvent contribuer à la discipline budgétaire. D’autre part, nous savons aussi que des exceptions et des règlements spéciaux exercent continuellement un travail de sape ou que la manipulation des indicateurs financiers fondamentaux permet de les contourner. Tout cela empêche la mise en œuvre systématique d’une discipline budgétaire souhaitable.
L’exemple de la Grèce est illustratif à cet égard. Dans un premier temps, la seule règle fiscale contraignante qui avait été introduite par le traité de Maastricht a été édulcorée au sein de l’UE, puis contournée pendant de longues années en Grèce par la manipulation des chiffres. Ceci s’est passé sans que l’autorité de surveillance, la Cour des comptes, n’intervienne.
Mais sans disposer d’informations appropriées sur la situation financière, les citoyens et les contribuables ne sont pratiquement pas en mesure de contrôler le gouvernement et ils ne peuvent que difficilement exiger des budgets équilibrés. Au cours des dernières années, nous avons consacré notre recherche à la question suivante: comment parvenir à une information fiable des citoyens et des contribuables quant à la situation financière d’une part et aux effets financiers des mesures politiques proposées de l’autre?
Contrôle des indicateurs financiers
Pour contrôler les indicateurs financiers tous les pays développés disposent d’une Cour des comptes qui est chargée de vérifier le bien-fondé des indicateurs financiers principaux. Toutefois, notre recherche montre que les différences dans la configuration de ces organes de surveillance jouent un rôle décisif. Afin d’étudier le fonctionnement des Cours des comptes, nous avons analysé les Cours des comptes américaines au niveau des États fédérés. Cet exemple nous permet d’examiner l’influence de différences relatives à l’indépendance, au mandat de contrôle et à la compétence technique du président de la Cour des comptes en nous basant sur des méthodes statistiques. Il s’avère que l’indépendance par rapport au gouvernement, l’étendue des compétences de contrôle aussi bien que les compétences techniques du président de la Cour des comptes sont d’une importance cruciale. Des restrictions sur la durée du mandat du président de la Cour des comptes renforcent son indépendance et augmente le niveau de solvabilité – en termes de notation financière – de l’État fédéré respectif sur la base de nos analyses. L’expertise professionnelle et l’élection directe du président de la Cour des comptes, conjuguées avec des compétences de contrôle étendues, ont, elles aussi, une influence positive sur la gestion financière. Ces analyses, parmi d’autres, permettent de se rendre compte de l’importance d’une surveillance indépendante du gouvernement.
Évaluation des effets financiers des mesures politiques proposées
Les citoyens et les contribuables sont, en outre, tributaires d’une évaluation indépendante des effets des décisions politiques envisagées. D’une part, il est difficile de comprendre les implications de mesures politiques complexes et d’en évaluer les conséquences financières à long terme. D’autre part, les informations mises à disposition quant à l’influence de mesures politiques sur les finances publiques sont le plus souvent insatisfaisantes. Bien que la gestion prudente et l’utilisation efficiente des fonds publics correspondent à une préoccupation générale, l’engagement des hommes politiques pour atteindre ces objectifs est pratiquement inexistant. L’utilisation efficiente des fonds publics représente un bien public dont tous les hommes politiques profitent, bien qu’eux-mêmes n’y contribuent pas. C’est pourquoi ces mêmes hommes politiques préfèrent utiliser leur temps précieux pour représenter des intérêts particuliers bien organisés. Bien souvent des intérêts généraux tels que la prudence et l’efficience ne sont pas suffisamment pris en compte dans l’utilisation des fonds publics en raison de l’asymétrie de ces motivations.
Les commissions de gestion et des finances dans les communes suisses
Des instances indépendantes qui mettent précisément ces informations à disposition du public se sont développées depuis de nombreuses années dans les communes suisses. Les commissions de gestion et des finances locales ne procèdent pas seulement au contrôle des comptes, mais elles donnent aussi, à des degrés divers, leur avis sur les mesures politiques proposées et renseignent les citoyens sur les effets attendus au niveau des finances communales. Leurs membres sont élus directement par le peuple et indépendamment par les organes exécutifs de la commune. Selon le canton, elles sont investies de compétences de contrôle et de conseil plus ou moins étendues. Par analogie avec une Cour des comptes traditionnelle, elles contrôlent la comptabilité dans chaque canton, garantissant ainsi le bien-fondé des indicateurs financiers du bilan annuel. Dans certains cantons, elles évaluent en outre l’utilisation des fonds lors de l’implémentation de mesures politiques et, parfois, également le projet de budget et les propositions politiques en attente de décision. Dans ce cadre, elles peuvent émettre des critiques circonstanciées sur le sens et la soutenabilité des mesures. Dans quelques cas, lors de l’assemblée communale, elles ont même la possibilité de soumettre des contre-propositions qui donnent alors lieu à une votation. Les commissions de gestion et des finances sont uniques en raison de la conjugaison de leurs compétences de contrôle et de conseil et de leur élection directe.
Les différences dans la configuration de ces commissions de gestion et des finances nous permettent d’appliquer des méthodes statistiques pour examiner les effets sur les finances communales. Nos résultats montrent que les pouvoirs de la commission de gestion et des finances – en fonction du degré des compétences de contrôle et de conseil – ont une influence significative et très importante du point de vue économique sur le montant de l’impôt et le volume des dépenses. Par comparaison avec des cantons caractérisés par la faiblesse de la commission de gestion et des finances (qui contrôle seulement la comptabilité par analogie avec une Cour des comptes), nous trouvons, dans les cantons où les compétences de contrôle et de conseil sont très étendues, une charge fiscale et des dépenses inférieures d’environ 15% à 20%.
Des leçons pour la crise de la dette européenne?
Notre recherche montre l’importance de l’existence d’institutions indépendantes qui évaluent les informations financières importantes. Il est essentiel que chaque citoyen soit suffisamment et correctement informé pour prendre une décision lors d’élections ou de votations. Les réformes qui renforcent ces institutions placent les citoyens et leur capacité d’agir démocratiquement au centre de l’attention. De telles tentatives de réforme contrastent avec celles qui, pour la résolution de la crise de la dette européenne, visent principalement une centralisation et une délégation plus poussées des compétences. Cependant, il n’y a pas de raison de penser qu’une centralisation et une coordination renforcées puissent réduire l’opacité de la politique budgétaire.
Actuellement, les discussions portent de plus en plus sur des approches étroitement liées aux résultats de notre recherche. Outre les règles fiscales exigées dans le pacte fiscal, des «conseils budgétaires» (désignés en anglais par Fiscal councils) sont de plus en plus souvent au cœur des débats. Au cours des dernières années, la Suède (en 2007), le Canada et la Hongrie (en 2008), ainsi que la Slovénie et le Royaume-Uni (en 2010), parmi d’autres pays, ont mis des organes de surveillance indépendants en place. Dans l’ensemble, ces organes sont compétents pour évaluer les indicateurs financiers et doivent surveiller le respect des règles budgétaires. Toutefois, il s’agit le plus souvent de collèges d’experts qui ne sont pas élus directement par les citoyens. Les expériences recueillies jusqu’ici semblent néanmoins confirmer que les conseils budgétaires indépendants peuvent avoir une influence bénéfique sur les finances publiques. Il serait à espérer que les conseils budgétaires puissent devenir des organes vraiment démocratiques, indépendants et bien ancrés dans les institutions et puissent se maintenir en place face à la pression des intérêts particuliers.